DOUG GRAY - Soul Of The South (2011) & Under The Gun (2010)

Titles :

01- Let Me Be The Fool
02- Who
03- Sandman
04- Guilty
05- Don’t Blame It On The Rain
06- Never Enough
07- Still Thinking Of You
08- More Today Than Yesterday

Personnel:

Doug Gray : vocals
George McCorkle, John Boestlar, Rusty Milner, Toy Caldwell : guitar
Dennis Solie : saxophone
Jerry Eubanks : horns
Ronnie Godfrey : keyboards
Michael Blithe, Mike Lawler : synthesizer
Paul Riddle : drums
Terry McMillan : congas
The Cherry Sisters : background vocals

Mettons tout de suite les choses au point : pour apprécier ce très court enregistrement (moins de 25 minutes pour les huit titres seulement, au grand regret de Doug!), il faut se replonger dans le contexte de son époque, en l'occurrence 1981 (trente ans déjà, eh oui!). Les synthés font plus que pointer le bout de leur nez, les survivants de Lynyrd connaissent leur deuxième crash avec la dérive d'Allen Collins, suite au décès de sa femme, et l'opus de ZZ Top, El Loco, ne connaît pas autant de succès que le précédent, Degüello pour ne pas le nommer. Molly Hatchet se pose des questions sur Jimmy Farrar alors que John O’Daniel quitte Point Blank et que l'ABB est sur le point de se séparer, bref, on pourrait continuer mais tout le monde a compris que les meilleurs représentants de notre musique favorite ne sont pas en grande forme et que la mode de ce style magnifique, amorcée essentiellement au début des 70's, s'essouffle sérieusement.

Le Marshall Tucker Band n'échappe pas à la règle et éprouve de surcroît quelques difficultés à se remettre de son départ de la célèbre « écurie » de Capricorn Records et de la récente perte accidentelle de son bassiste moteur Tommy Caldwell. Le contexte, plutôt morose donc, génère un certain repli vers des valeurs plus « commerciales » et Doug Gray de passage à Nashville pour bosser sur quelques projets à tendance soul accueille avec un certain intérêt la proposition de cet album solo reflétant une part non négligeable de ses passions musicales, finalement jusqu'ici peu présents dans la musique du MTB. Avec l’aide de musiciens parmi lesquels la plupart des membres du MTB de l’époque, alors un peu désœuvrés, ainsi que quelques futurs membres (Ronnie Godfrey et Rusty Milner), Doug commencera à enregistrer quelques morceaux susceptibles de bien fonctionner dans le contexte compliqué du début des 80’s. Finalement, plutôt que de sortir aussitôt ces bandes et d'entamer une carrière solo, Doug préfèrera faire le choix de se consacrer totalement au Marshall Tucker Band, et ces bandes furent « perdues » pendant quelques lustres avant d'être retrouvées et ressortent aujourd'hui en même temps qu'un « Greatest Hits » du MTB.

Autant vous l’annoncer tout de suite, malgré une prestation impeccable de Doug et des musiciens, et malgré des compositions plaisantes, le contexte de cette période difficile pèse sur cet album. L’optique « pop-soul » volontairement commerciale et « actuelle » (de l’époque !) de la production plombe son dynamisme et son authenticité. Tout ça manque de peps, de caractère à force d’avoir voulu être lisse pour se vendre. Le passage en radio et la soumission à la mode sont trop visiblement recherchés. Ainsi le très bon « Who », titre alerte soutenu par une bonne rythmique, et un des rares titres à se servir d’un soutien du chant par des chœurs féminins souffre-t-il de synthés très artificiels, un peu trop « à l’économie », qui gâchent l’ambiance en « faisant toc ». En trente ans, ces sons ont bien sûrs beaucoup progressé et paraissent aujourd’hui désuets, comme souvent lorsqu’on écoute les disques de cette époque. Et cela tourne presqu’à la catastrophe sur la ballade « Don’t Blame It On The Rain », qui ne méritait certes pas ces sons de claviers « variétoches » aujourd’hui totalement démodés et passe partout, et ces arrangements de fausses cordes qui sont aux vraies ce que le faux bois du tableau de bord des automobiles de cette époque est à la ronce de noyer.

L’ensemble de la musique du disque ne s’excite d’ailleurs pas beaucoup, priorité étant donnée à des ambiances calmes et neutres mettant en valeur la voix intacte de Doug. Notre chanteur s’en va même concurrencer le style de Sade (la chanteuse, pas le marquis !) dans un « Sandman » ouaté servi par un bon saxophone, et toutes les orchestrations des ballades ne subissent pas des sorts désastreux : « Still thinking of you » montre du souffle et, une fois encore, un bon appui des chœurs féminins. Certains titres procurent un certain plaisir à l’écoute, comme le titre d’ouverture « Let Me Be The Fool », où Doug fait valoir un phrasé toujours très expressif et où les saxes s’expriment sur un fond de cocottes guitaristiques, ou « Guilty », à la rythmique bien carrée ornée de motifs de guitare funky et d’orgue, qui se rapproche (enfin ?) d’une véritable ambiance soul. Dans ce cadre, on regrettera que le pêchu « More Today Than Yesterday », dont la rythmique pulse vraiment bien, manque un peu de longueur de propos, ou que le guilleret « Never enough », d’esprit très 80’s, repose sur un son de batterie très artificiel. Si ce disque était sorti à l’époque, nul doute que l’indulgence aurait été beaucoup plus grande, car les sons n’auraient pas paru autant datés.

Restent des titres agréables, bien chantés, bien interprétés sur le plan instrumental, à l’intérêt historique certain, avec quelques bonnes réalisations dans le lot, mais dont l’orchestration et la production ont bien du mal à convaincre aujourd’hui. Dommage, car on peut rêver à l’album que Doug pourrait réaliser avec des moyens et la volonté de retourner aux racines de la soul music. Néanmoins, son chant irréprochable et toujours charmeur pourra ici aussi séduire ses fans. Pour ceux qui voudraient avoir un aperçu de la véritable « Soul of the South », je conseillerais plutôt d’aller prêter l’oreille à quelques titres de Wet Willie ou même au dernier Warren Haynes…

Y. Philippot-Degand

DOUG GRAY - Under The Gun (2010)



Personnel:

Doug Gray - guitar, harmonica, vocals
Dave Smith - guitar
Nick Devilin - slide guitar
Big Ears Thompson - bass
Fingers Malone - keyboard
Sticks Gibson - Drums
Marcia Ramirez - back-up vocals
Ray Barnette - back-up vocals

Tracks:

01 - Whiskey In Your Country And Reffer In Rock & Roll 03:55
02 - Voodoo Children 04:03
03 - Grapevine Betty 05:07
04 - Little Bit Of Love 03:55
05 - Under The Gun 03:51
06 - Left With The Blues 02:28
07 - Missing You 04:26
08 - Flashbacks 04:30
09 - Till The End Of Time 02:58
10 - Like Them Blondes 03:06

Le patronyme pouvant porter à confusion, précisons ici tout de suite que nous ne sommes pas ici en présence du frontman du Marshall Tucker Band ! Voilà, cela méritait d'être annoncé, et ça ira mieux après. Celui-là ne nous vient pas de Caroline mais de l'Arkansas! Les connaisseurs ne s'y seraient d'ailleurs pas trompés, tant les deux organes vocaux de nos Doug sont différents : à une certaine suavité de l'enrobage du puissant atout du plus connu des deux répond ici un outil vocal plus ténu mais plus teigneux, comme l'album d'ailleurs qui se situe assez loin des terrains parcourus ordinairement par le MTB. Plutôt que racines nettement countries, on se trouve plutôt ici devant un ancrage dans le boogie et le blues, même si, rock sudiste oblige, notre « country music » peut parfois pointer le bout de son nez, mais version « new country » : ça déménage, comme le montre le premier titre bien musclé de l'album, orné d'un réjouissant solo de piano bien dans la tradition!

Tradition, le mot est lâché, et il ne faut guère ici s'attendre à des innovations étranges, mais à un boulot bien foutu et qui balance souvent fort bien. On mélange un peu les styles, comme le veut la tradition sudiste, dès le deuxième titre, un blues un peu funky à nouveau mis en valeur par un excellent solo de guitare et un très bon accompagnement au piano, avant de virer au Skynyrdien « Grapevine Betty », blues rock traînant enjolivée par une fort réjouissante slide, mais au traitement rappelant plus le Skynyrd actuel que celui de Ed King ou Steve Gaines. Une excellente intro de guitare lance «  Little Bit Of Love », blues qui déroule sans heurt avant le titre donnant son nom à l'album sur lequel on remarque de bonnes parties de guitares, en particulier une très bonne Strat'. Les titres suivants, bien que fort bien interprétés, manquent un peu d'originalité: «  Left With The Blues », entre Texas et Chicago, restera bien classique jusqu'au bout, avec sa rythmique carrée et son piano bastringue qui sent le bouge, «  Missing You » hérite du rôle du slow-blues qui tue en faisant renifler dans les chaumières, mais sa facture un peu trop prévisible l'empêche un peu de décoller malgré un bon feeeling et un superbe travail des guitares, « Flashbacks » relance le tout en balançant salement dans le genre rock bluesy à la Dan Baird/Georgia Satellites, avec une nouvelle fois des soli bien cadrés, ici à l'orgue et à la guitare. Tout ceci reste bien fait, vraiment, mais sans cette pointe d'originalité ou de mélange qui emmène le tout dans un autre univers. « Till The End Of Time » vient enfin apporter une touche plus personnelle dans le genre « blues à cocottes » (les guitaristes comprendront...) qui lui aussi balance grave, et l'album se termine par l'exposé des fantasmes de notre Doug du jour, entre new country (vu les paroles, ça vous étonne?) et ZZ Top, un peu façon « Sharp Dressed Man ».

Au final, nous avons un album très agréable à écouter, plutôt groovy, qui plaira sûrement beaucoup à ceux qui n'aiment pas trop s'éloigner des sentiers battus, d'autant que certaines parties instrumentales impeccables contribuent au plaisir, mais auquel il manque un petit grain de folie et un peu de complexité et d'originalité dans les compositions pour déclencher les passions. Pas à dédaigner quand même!

Y. Philippot-Degand